" Dans un esprit anthropologique, je proposerai donc de la nation la définition suivante : une communauté politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine. Elle est imaginaire parce que même les membres de la plus petite des nations ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens : jamais ils ne les croiseront ni n'entendront parler d'eux, bien que dans l'esprit de chacun vive l'image de leur communion. (...). La nation est imaginée comme limitée parce que même la plus grande d'entre elles, pouvant rassembler jusqu'à un milliard d'êtres humains, a des frontières finies, même si elles sont élastiques, derrière lesquelles vivent d'autres nations. (...) Elle est imaginée comme souveraine parce que le concept est apparu à l'époque où les Lumières et la Révolution détruisaient la légitimité d'un royaume dynastique hiérarchisé et d'ordonnance divine. (...) Enfin, elle est imaginée comme une communauté parce que, indépendamment des inégalités et de l'exploitation qui peuvent y règner, la nation est toujours conçue comme une camaraderie profonde, horizontale. (...) Ces morts nous mettent brutalement face au problème central que pose le nationalisme : d'où vient que l'imaginaire étriqué de l'histoire récente (...) engendre des sacrifices aussi colossaux ? "

Benedict Anderson : L'imaginaire national.
Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme
Paris, La Découverte, 1996, 18-21.