" Nous devons renoncer à connaître ceux à qui nous lie quelque chose d'essentiel; je veux dire, nous devons les accueillir dans le rapport avec l'inconnu où ils nous accueillent, nous aussi, dans notre éloignement. L'amitié, ce rapport sans dépen-dance, sans épisode et où entre cependant toute simplicité de la vie, passe par la reconnaissance de l'étrangeté commune qui ne nous permet pas de parler de nos amis, mais seulement de leur parler, non d'en faire un thème de conversations (ou d'articles), mais le mouvement de l'entente où, nous parlant, ils réservent, même dans la plus grande familiarité, la distance infinie, cette séparation fondamentale à partir de laquelle ce qui sépare devient rapport. Ici, la discrétion n'est pas dans le simple refuse de faire état de confidences [...], mais elle est l'intervalle, le pur in-tervalle qui, de moi à cet autrui qu'est un ami, mesure tout ce qu'il y a entre nous, l'interruption d'être qui ne m'autorise jamais à disposer de lui, ni de mon savoir de lui [...] et qui, loin d' empêcher toute communication, nous rapporte l'un à l'autre dans la différence et parfois le silence de la parole. "

Maurice Blanchot : L'amitié
Paris, Gallimard, 1995, 326-330.